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L’otage-média : une stratégie fatale pour les FARC-EP

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Bonne nouvelle hier : les FARC, célèbre guérilla colombienne, ont annoncé l’abandon des enlèvements de civils. “Nous annonçons qu’à compter de cette date, nous interdisons ces pratiques dans le cadre de notre combat révolutionnaire” a annoncé son commandement dans un communiqué publié sur leur site Internet explique LeMonde.fr.

Comme je l’indiquais dans mon précédent billet, j’ai rédigé un mémoire en 2009 sur la stratégie numérique des FARC. Dans ce mémoire, je m’attarde sur la question des otages et de leur rôle médiatique. L’actualité me donne l’occasion de publier ici cet extrait de mon travail de recherche (qui date de 2009, je le rappelle. Depuis la situation des FARC a bien entendu évolué).

* * *

Durant des années, les FARC se sont donc servies des otages politiques pour exister médiatiquement et politiquement. Mais ce qui a semblé être un succès par le passé (comme pourrait le faire croire le cas Ingrid Betancourt) se retourne aujourd’hui contre la guérilla. Pour Pascal Drouhaud (propos recueilli lors d’un entretien en février 2009), lorsque les FARC ont commencé leur stratégie d’enlèvement de personnalités politiques en 2001-2002, la guérilla comptait alors « à peu près 16 000 hommes, elles avaient adopté une posture en plus qui visait à enlever des personnalités visibles. Le fait de détenir des otages, ça exige beaucoup de moyens et beaucoup d’hommes. Ça exige une mobilité et qui dit mobilité suppose une présence territoriale vaste. » Il semblerait donc que les FARC soient obligées de changer de stratégie aujourd’hui alors que leurs moyens se sont considérablement réduits. Elles cherchent à présent à se débarrasser de leurs otages politiques qui nuisent à leur image et demandent un investissement en argent et en hommes trop important. Certes, ces derniers mois les FARC multiplient les actions terroristes. Mais elles multiplient aussi les libérations volontaires d’otages.

Mais avant de poursuivre, revenons sur la stratégie des FARC-EP concernant les otages. Il en existe deux catégories. Les otages économiques d’une part, et les otages dits « échangeables » d’autre part. La première catégorie concerne ceux qui feront l’objet d’une rançon. La seconde catégorie concerne ceux qui vont jouer dans la balance des négociations pour des échanges humanitaires. C’est cette dernière catégorie qui nous intéresse ici.

Dans cette catégorie, on trouve des hommes et femmes politiques (Ingrid Betancourt par exemple), mais également des membres de l’armée. Dans son livre (FARC, Confessions d’un guérillero, Editions Choiseul, 2008), Pascal Drouhaud a recueilli le témoignage suivant :

Ce groupe est au cœur des négociations avec le gouvernement. Il constitue pour nous un moyen de pression et de crédibilité politique. […] ces prisonniers portent le symbole de notre combat. […] Les détenir démontre que l’Etat n’est pas aussi résistant que certains le pensent. Ils nous font de la publicité. […] Notre objectif, c’est de faire parler de nous, et nous y arrivons !

L’otage est donc plus qu’une personne séquestrée, privée de son droit de se déplacer librement. L’otage est un moyen à travers lequel les FARC-EP vont transmettre leur message au gouvernement d’Uribe. Ainsi l’otage n’est plus le message mais devient porteur du message. Par exemple, séquestrer des militaires « démontre que l’Etat n’est pas aussi résistant que certain le pensent ». Ces otages servent donc de médias pour transmettre un message des FARC à l’armée et à l’Etat.

Cette perception de l’otage comme média ou medium permet de mieux comprendre l’importance des otages correspondant à la seconde catégorie. Ces otages deviennent des symboles permettant aux FARC-EP de transmettre un message à leurs publics.

Cependant la stratégie de l’otage-média, dont la plus belle réussite fut incontestablement le cas Ingrid Betancourt, est aujourd’hui dépassée et a même coûté cher à la guérilla, celle-ci ayant lourdement dégradé son image dans l’opinion. Pourtant c’est cette stratégie qui a permis aux FARC-EP d’attirer le projecteur médiatique jusque dans la jungle colombienne. Mais elle avait un effet boomerang que les FARC n’ont pas su anticiper. A présent, on assiste donc à une libération de plus en plus massive des otages politiques retenus par la guérilla. Pascal Drouhaud « [traduit] ces libérations par le fait qu’elles ont opté pour la libération des otages pour pouvoir manœuvrer, se déplacer plus facilement qu’elles ne le peuvent aujourd’hui. »

Deux exemples montrent comment la stratégie de l’otage-média peut déraper. Le premier exemple est celui de Clara Rojas et de son enfant, que Pascal Drouhaud a résumé ainsi lors de l’entretien : « Je pense notamment à l’affaire du petit Emmanuel, l’enfant de Clara Rojas, qu’elle ne détenait pas et donc elle n’a pas pu faire jouer la fibre affective ». Les FARC ont raté ici une occasion de montrer un visage humain de la guérilla au monde entier.

Mais le second exemple est bien plus révélateur de l’effet boomerang évoqué précédemment. Il concerne Fernando Araújo. Son histoire est racontée dans le témoignage recueilli par Pascal Drouhaud au sein de son livre. Araújo était à l’origine un otage économique puis « changea de statut lorsque le Secrétariat décida de l’intégrer à la liste des 58 prisonniers que nous étions disposés à échanger contre 500 de nos camarades ». Il s’est évadé après cinq ans de captivité lors d’une opération de sauvetage de l’armée et est ensuite devenu ministre des Affaires étrangères. Après s’être enfui du camp des FARC, il a marché durant cinq jours dans la jungle avant d’être pris en charge par un camp d’infanterie. « Aujourd’hui, lui qui est parvenu à s’échapper pendant une opération lancée par l’armée contre le groupe qui le détenait, n’exclut pas la possibilité d’opérations militaires pour libérer les otages des FARC ». La violence appelle parfois à la violence. C’est en tout cas l’option choisie par Alvaro Uribe pour pousser les FARC dans leurs retranchements et faire en sorte qu’elles soient si affaiblies qu’elles n’aient plus qu’une issue possible, la négociation politique.


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